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elle semblait vivante. Elle dormait sous la glace. Et elle
allait bientôt sortir de son tombeau.
Elle n'était pas vraiment nue, comme il l'avait cru la
première fois, mais son habit de funambule était resté
si longtemps sous la glace que la trame du tissu était
devenue presque transparente. Et son corps si ténu, sa
peau si diaphane en paraissaient plus fragiles encore.
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Soseki ne redescendit jamais de la montagne. Il s'al- Yuko revint seul de la montagne
Alla vers le nord
longea sur la glace, auprès de son amour et ferma les
Vers la neige.
yeux.
Yuko tenta de le dissuader d'une telle folie mais le
Il ne se retourna jamais.
maître lui répondit d'une voix sereine :
Il avança sur le chemin du retour, debout, comme
- Laisse-moi en paix. J'ai trouvé ma place. Pour
sur un fil tendu entre le sud et le nord du Japon.
l'éternité.
Comme un funambule.
Puis il s'endormit à côté du corps intact de la jeune
femme.
Lorsqu'il mourut, il se laissa gagner par la blancheur
du monde.
Il était heureux.
A hauteur du cSur.
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II rêva de nombreuses nuits à la femme des glaces.
Lorsqu'il parvint enfin chez lui, son père le ques-
A Neige.
tionna sur son voyage et sur la portée de l'enseigne-
ment du maître. Mais Yuko ne répondit rien. Il s'en-
Une nuit, la fille de la fontaine le rejoignit et voulut
ferma dans son atelier et n'en sortit pas pendant
s'offrir à lui, mais le jeune homme la repoussa dans un
plusieurs jours.
soupir de lassitude. Elle s'enfuit en sanglotant et il ne la
revit plus.
Un matin pourtant, n'y tenant plus, le prêtre exigea
la raison de cette réclusion volontaire. Yuko répondit :
Les saisons s'égrenèrent dans le sablier du temps.
- Père, Soseki n'est plus. Maintenant laissez-moi
Aux premiers jours de l'hiver la neige tomba. Et avec
porter le deuil.
elle la première encre du premier poème sur le parche-
Il s'enferma à double tour et pleura.
min de soie.
En déroulant les premiers mots sur le papier, son
Mais, en vérité, malgré l'amitié qu'il lui portait et
cSur s'allégea. Mais tout cela n'était qu'un leurre.
l'admiration qu'il lui vouait, Yuko ne pleurait pas la
Seule la poésie rendait plus léger le poids de son cha-
mort du maître.
grin. Lorsqu'il posa sa plume, son cSur redevint froid
Il pleurait son amour perdu dans la neige.
comme de la glace.
Ce fut un hiver long, d'une blancheur éclatante.
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Un matin d'avril, un an après la mort de Soseki, un
Aux premiers jours du printemps, pourtant, l'écri-
jeune femme se présenta chez le père de Yuko. L
ture de Yuko changea. Peu à peu, ses poèmes prirent
prêtre la reconnut. C'était la jeune protégée du poèt
une autre teinte.
officiel de la cour de l'empereur. La jeune fille pou
Il se surprit lui-même à y déceler d'autres couleurs
laquelle son fils avait conçu une terrible haine et ui
que celle de la neige.
immense amour. Cette fois, elle était seule.
Le prêtre la reçut avec les honneurs et lui offrit un bo
L'enseignement de maître Soseki avait fini par por-
de thé fumant qu'elle but lentement en regardant 1
ter ses fruits. Ses fruits d'or, d'argent et de rêve.
rivière argentée. Puis il la conduisit à l'atelier de son fils
Désormais Yuko était devenu un poète accompli.
Ses haïku n'étaient plus aussi désespérément blancs. Ils Lorsqu'il la vit, Yuko la trouva si belle qu'il en trem
bla. Le naïku qu'il calligraphiait avec soin sur un par
comportaient chacun toute la gamme des couleurs de
chemin de soie en ressentit un vertige. La plume d
l'arc-en-ciel. Son écriture était limpide, précieuse. Et
Yuko glissa sur le papier et forma un signe étrange. Un
colorée.
ligne droite entrecoupée d'une virgule. Comme le des
sin d'une funambule sur un fil de beauté.
Mais le territoire de son cSur restait étrangement
empreint de blancheur.
Yuko se tourna vers la jeune femme et lui sourit. San
prononcer un mot elle s'approcha de lui et glissa sa mail
sur son épaule. Puis elle se pencha sur l'Suvre du jeun
maître et dit :
- C'est sans doute le plus beau portrait qui ait jamai
été fait de ma mère.
Elle se nommait Flocon du printemps.
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Le jeune homme contempla le dessin devant lui, la
Cette nuit-là ils firent l'amour pour la première fois.
regarda, elle, et comprit qu'il s'agissait du même rêve
Lui le jeune poète et elle la fille du maître et de la
achevé dans le peu de réalité qui restait en suspens
femme des glaces.
autour de lui.
Lorsqu'il la prit, elle cria si fort qu'il en trembla
- Je vous ai attendu longtemps, dit-il.
d'émotion.
Elle posa sa tête sur son épaule et elle ferma les yeux.
Il baisa ses yeux, son sein, son ventre.
- Je savais que tu attendrais encore.
Au matin, ils se laissèrent gagner par le sommeil.
Dehors, il neigeait.
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Yuko ne se rendit jamais à la cour de l'empereur.
II y a deux sortes de gens.
Flocon du printemps ne devint jamais funambule.
En aucun cas il ne faut que l'histoire se répète.
Il y a ceux qui vivent, jouent et meurent.
Ils se marièrent aux premiers jours de l'été, sur le
Et il y a ceux qui ne font jamais rien d'autre que se
tenir en équilibre sur l'arête de la vie. bord de la rivière argentée.
Il y a les acteurs.
Et il y a les funambules.
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Et ils s'aimèrent l'un et l'autre
Suspendus sur un fil
De neige.
IMPRESSION : BRODARD ETTAUPIN À LA FLÈCHE (01-02)
DÉPÔT LÉGAL : JANVIER 2001. N° 38580-2 (1 0848)
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